#2 les défis de l’entreprise apprenante
Cet article est le deuxième de notre série sur les défis de l’entreprise apprenante.
Dans le premier article de cette série (#1 Que faire face à l’obsolescence accélérée des compétences ?), nous avons vu que la vitesse de renouvellement des compétences est l’un des principaux défis auxquels les entreprises devront faire face dans les années à venir. Le deuxième défi, que nous allons aborder dans cet article, est lié non pas à la vitesse mais au nombre de personnes à former. Former à l’échelle, tel est l’un des prochains défis clés des entreprises apprenantes.
Si l’on veut catégoriser les formations données en entreprise, on peut utiliser un axe qui correspond au nombre de personnes à former sur une même compétence au sein de l’entreprise. Cet axe irait d’un extrême qui consiste à former une seule personne, à un autre extrême, qui consiste à former toutes les personnes de l’entreprise (100%). Pour faire simple, on peut découper cet axe en deux parties : la première représente les formations qui concernent une personne ou un petit nombre de personnes dans l’entreprise, ou plutôt un petit pourcentage de personnes dans l’entreprise; la seconde représente les formations qui concernent un très grand nombre ou plutôt une très grande partie des personnes de l’entreprise, voire toutes.
D’un point de vue statistique, je ne saurai dire la part respective de l’une et l’autre catégorie dans l’ensemble des jours de formation donnés par les entreprises en moyenne en France ou ailleurs. Mais il est certain en tous cas que ces deux catégories ne sont pas du tout perçues de la même manière par les acteurs clés que sont les salariés d’un côté et l’entreprise de l’autre.
Concernant la première catégorie, à savoir les formations qui concernent une petite partie seulement des personnes d’une entreprise, elles correspondent la plupart du temps à des formations liées au métier des salariés. Ce sont souvent des hard skills. Un grand nombre d’entre elles sont souhaitées voire demandées par les salariés. Et la plupart sont a minima bien acceptées car elles consistent généralement à augmenter les compétences et l’employabilité des salariés, qui y voient donc le plus souvent leur intérêt.
La seconde catégorie est quant à elle le plus souvent une préoccupation de l’entreprise plutôt que des salariés. Dans cette catégorie, je rangerais des formations que l’on peut considérer comme “obligatoires” : formations liées à la sécurité, à la compliance, au respect de normes, à la mise en œuvre d’un nouveau logiciel, etc. Ces formations sont souvent subies par les salariés. Du côté de l’entreprise, la préoccupation est de s’assurer qu’elles sont bien suivies par tous. Elles donnent donc lieu à un suivi statistique précis. Certaines donnent lieu à de vastes plans de conduite du changement : c’est le cas par exemple pour la mise en œuvre de nouveaux logiciels. Les entreprises doivent ensuite vérifier que les compétences sont bien acquises et que les comportements évoluent en conséquence (respect des normes, des règles, capacité à utiliser tel logiciel ou telle machine, etc.).
L’une des caractéristiques de la seconde catégorie telle que je viens de la décrire réside dans le fait que les personnes formées n’ont pas besoin d’interagir entre elles. Cette catégorie est constituée d’une accumulation de formations individuelles. Chacun pourrait suivre la formation dans son coin, ça ne serait pas un problème. Si finalement tous les salariés d’une entreprise ou presque finissent par avoir suivi la même formation, c’est en fait une accumulation de formations individuelles qui a eu lieu. D’où le suivi statistique dont je parlais précédemment.
Changements de savoir-faire et changements de savoir-être
Or, ce schéma n’est pas le seul possible. Et en parallèle des deux catégories que je viens de décrire, on peut considérer deux autres catégories, qui se distinguent des premières selon un axe qui concerne cette fois-ci le type de changement auquel la formation donne lieu. Dans les deux catégories que je viens de décrire, le changement est principalement un changement de savoir-faire : les salariés ajoutent des compétences aux compétences qu’ils possédaient déjà, voire ils substituent une compétence nouvelle à une compétence ancienne, qui devient obsolète. Dans le cas des deux nouvelles catégories, le changement est en grande partie un changement de savoir-être : les salariés doivent acquérir des compétences relatives à leur manière de travailler, de se comporter au travail, d’interagir avec les autres, de considérer leur activité, etc. Sans apporter aucune connotation morale, positive ou négative au terme, on pourrait dire que les changements de savoir-faire sont plus “superficiels” - ils concernent ce que nous savons faire plutôt que ce que nous sommes -, tandis que les changements de savoir-être sont plus “profonds” - ils impactent en partie ce que nous sommes.
Comme pour les changements de savoir-faire, la première catégorie des changements de savoir-être concerne les formations suivies par une petite partie des personnes d’une entreprise, voire une seule personne. Dans cette catégorie, je citerais les formations aux soft skills ou au management. Ces apprentissages nécessitent non pas tant d’acquérir des compétences objectives, clairement définies, que de rentrer dans une démarche réflexive sur soi-même et de changer son comportement vis-à-vis des autres. Ce dernier point est important : les changements de savoir-être impliquent souvent un rapport aux autres. Ils changent les individus en profondeur, mais dans leur relation aux autres. Cela implique donc souvent un apprentissage collectif, une mise en œuvre également collective et enfin une mesure de la mise en œuvre collective elle aussi. À titre d’exemple de l’apprentissage collectif, on peut citer les ateliers de co-développement, souvent utilisés avec des managers.
La seconde catégorie des changements de savoir-être concerne les formations suivies par la majeure partie des personnes de l’entreprise, voire par toutes. Cette catégorie regroupe notamment les programmes qui impliquent une transformation profonde de l’entreprise. On parle aussi parfois de transition. On peut citer la transformation digitale et toutes ses déclinaisons (transformations agile, design, data, IA, orientation client, etc.), mais aussi la transformation écologique, la transformation éthique, les transformations organisationnelles ou managériales, les transformations stratégiques, etc. Avec cette catégorie, on bascule donc du changement centré sur l’individu au changement centré sur le groupe, voire sur l’entreprise. Il s’agit de changer le savoir-être de l’entreprise. Ainsi donc, encore plus que pour la catégorie précédente, les programmes de transformation ou de transition impliquent que l’apprentissage soit collectif, car la mise en œuvre est nécessairement collective, ce qui implique que la mesure de la mise en œuvre soit collective elle aussi.
En réalité, cette catégorie regroupe ce que l’on peut appeler les compétences collectives de l’entreprise. Ce sont des compétences que l’on attribue au groupe et non aux individus. C’est une grande différence avec la seconde catégorie des changements de savoir-faire, pour laquelle nous avons vu qu’elle correspondait à l’accumulation de compétences individuelles. Pour qu’une entreprise soit agile ou orientée client, il ne suffit pas que tous ses salariés soient agiles ou orientés client, il faut qu’ils aient mis en place une organisation et un mode de travail collectif qui soient orientés client.
Nous entrons dans l’ère des transformations
De manière générale, les deux catégories de changement de savoir-être sont une tendance forte des transformations et des formations qui devront être mises en œuvre par les entreprises dans les années à venir. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet dans de prochains articles. Mais il suffit de regarder le nombre d’articles consacrés depuis quelques années aux différentes transformations et transitions d’une part, ainsi que ceux consacrés aux soft skills et aux nouveaux challenges du management, pour s’en convaincre.
Je ne peux m’empêcher de citer à ce stade les travaux de Lynda Gratton, qui considère que les entreprises sont confrontées de plus en plus à de multiples cycles de transformations. Elle met notamment l’accent sur 4 cycles récents ou en cours :
De ce point de vue, on peut dire que nous sommes entrés dans l'âge ou l’ère des transformations. L’entreprise du XXIème siècle, en effet, évolue dans une économie et un monde de plus en plus incertains, impactés par le numérique et la technologie, en proie à la crise écologique, aux mutations sociales, aux défis éthiques.
Pour relever ces défis, l’entreprise doit donc s’engager dans de multiples transformations et transitions, qui impactent son savoir-être : transition écologique, transformation digitale, transformation des modes de travail, transformation sociale, transformation éthique, etc.
Or, une transformation n’est pas un simple changement. Elle est beaucoup plus large (elle se joue à l’échelle), plus profonde (elle concerne le savoir-être) et s’inscrit sur le long terme (elle nécessite du temps pour être mise en œuvre).
Comment aborder les changements de savoir-être ?
Jusqu’à présent, les formations liées aux savoir-faire dominaient largement les formations mises en œuvre dans les entreprises. Ces dernières ont donc développé un savoir-faire (!) dans la gestion de ces actions, avec des équipes dédiées, des organismes partenaires, des solutions digitales (e-learning), des modes de financement, une organisation de la gestion du temps de formation par leurs salariés, etc. Elles se sont appuyées pour cela sur des travaux universitaires ou de consultants dédiés à ces questions. On dispose en effet aujourd’hui d’une littérature abondante sur la formation individuelle, le e-learning ou la conduite du changement par exemple.
Mais le passage aux changements de savoir-être, et la place croissante que ces changements prendront à l’avenir, vont occasionner des changements (!) également dans la manière de les gérer. Les changements de savoir-être impliquent en effet une gestion très différente des changements de savoir-faire.
Tout d’abord, les changements de savoir-être demandent du temps, ils ne sont pas immédiats. Il ne suffit pas d’une semaine de formation pour que ce soit réglé définitivement. Ils nécessitent que les individus et les entreprises s’approprient le changement.
Durant cette période de transition, le facteur clé de l’apprentissage et de la transition est l’échange avec autrui, la co-construction, l’intelligence collective. Car le résultat ne s’impose pas à l’individu ou au groupe, mais il doit plutôt être co-construit par un collectif, de manière collective. C’est en ce sens, notamment, que l’on peut parler de compétence collective.
Finalement, la transformation des entreprises pose la question de l’apprentissage organisationnel (organizational learning), concept qui se rapproche de l’entreprise apprenante (learning organization), et qui implique l’apprentissage à l’échelle (learning at scale).
Si l’on considère les différentes déclinaisons de la transformation digitale au sens large, on constate d’ailleurs qu’une grande partie de l’attention des chercheurs (théoriciens), des experts praticiens et des entreprises, se focalise sur la manière de conduire ces changements à l’échelle. On parle ainsi d’agilité à l’échelle (agile at scale), avec des framework dédiés, tel que SAFe :
D’autres insistent sur la nécessité de créer une culture data & IA à l’échelle (lire article sur ce sujet 👉) afin de pouvoir exploiter la data et l’IA dans tous les compartiments de l’activité de l’entreprise.
D’autres insistent sur l’intérêt du développement de l’usage du design dans toute l’entreprise (lire ici 👉 ou ici 👉).
D’autres parlent d’accroître l’orientation client de l’entreprise, ce qui implique des changements profonds dans son organisation et son fonctionnement (voir le livre La révolution des organisations). Etc., etc.
Bref, tous les chantiers de transformation quels qu’ils soient sont bien des chantiers qui doivent se faire à l’échelle et en profondeur. Et tel est bien le challenge auquel tous les théoriciens, praticiens et dirigeants d’entreprises s’attellent actuellement.
Le rôle des communautés apprenantes
Finalement, si l’on veut faire une synthèse de ce que nous venons de dire, relativement aux dispositifs à mettre en œuvre pour aborder au mieux ces différents changements, on pourrait faire la classification suivante :
Les communautés apprenantes ont en effet de nombreux atouts pour outiller les changements de savoir-être :
De plus, via leur appui sur des solutions digitales, les communautés apprenantes sont particulièrement adaptées pour traiter plus spécifiquement les changements de savoir-être à l’échelle. Elles permettent en effet de regrouper un grand nombre de personnes dans une même démarche de formation, de conversation, de co-construction, etc.
Elles permettent également de traiter la problématique de l’alignement. Ce point est important car la transformation n’est pas juste une question d’échelle ou d’accumulation. On n’y répond pas par l'addition non coordonnée d’une multitude de formations individuelles, comme c’est le cas pour les changements de savoir-faire à l’échelle (voir ci-avant le paragraphe dédié à cette catégorie). La transformation est un mouvement collectif dans une direction stratégique. L’ensemble des salariés doit inscrire son propre changement dans la dynamique de celui de l’entreprise.
Le schéma ci-dessous essaie de traduire graphiquement ce qui vient d’être dit dans cet article :
Notons au passage deux points importants qui distinguent les savoir-faire et les savoir-être :
Et Zeebra dans tout ça ?
Dans ce contexte, Zeebra propose justement aux entreprises un dispositif de communauté apprenante afin de les aider à aborder les deux catégories de changement de savoir-être évoquées dans cet article :
Pour en savoir plus : contact@zeebra.fr
Christophe Gazeau
Associé Zeebra
Expert innovation et transformation digitale